mardi 15 décembre 2020

Les taux annualisés de variation trimestrielle du PIB : de l'exagération à la supercherie

 

Ramener en rythme annuel la variation trimestrielle en pourcentage du produit intérieur brut réel (PIB) vient habituellement gonfler artificiellement les faits[1]. En ces temps de pandémie où l’activité économique connaît des fluctuations importantes d’un mois ou d’un trimestre à l’autre, l’annualisation des taux fictionnalise la réalité. La revue The Economist a récemment indiqué que ces taux sont «…astonishing and misleading…».[2]

Les taux annualisés quadruplent les variations d’un trimestre à l’autre[3]. Ils donnent une idée de ce que serait le pourcentage de variation annuelle du PIB, si le taux de variation d'un trimestre se répétait à chaque trimestre de l'année, ce qui est illusoire puisque ce n’est pas le cas en pratique[4].

La communication de ces taux, sans référence préalable à la variation trimestrielle sans annualisation, est source de confusion. Quelle personne généralement bien informée sur les questions économiques peut croire que les économies américaine et canadienne peuvent croître respectivement à un rythme annuel de 33,1 % et 40,5 % sur la base des résultats du troisième trimestre de cette année? Sans explication préalable de leur signification, ces pourcentages doivent lui sembler assez bizarres et même erronés. Lui présenter ces taux en passant sous silence les taux non annualisés équivaut à de la supercherie.

Le Bureau of Economic Analysis (BEA) des États-Unis est à l’origine de ce problème. Il ne publie que des taux trimestriels annualisés, bien qu’il soit possible de calculer les variations sans annualisation à partir des données disponibles sur son site Internet. Aux dires de cet organisme, ces taux facilitent des comparaisons[5], bien qu’il se garde d’en faire dans la rédaction de ses communiqués sur le PIB. Les économistes américains semblent se conformer à cette pratique du BEA dans leurs travaux sur la conjoncture en ne publiant que des taux trimestriels annualisés.

 

L’emploi des taux trimestriels annualisés est répandu au Canada. Statistique Canada (SC) met toutefois l’accent sur les variations trimestrielles en pourcentage non annualisées dans ses communiqués. Cet organisme ajoute les variations annualisées en complément d’information pour faciliter les comparaisons avec les résultats américains présentés par le BEA. SC répond probablement aussi à des besoins particuliers en données d’économistes canadiens qui publient des projections de l’évolution à court terme des économies canadienne et américaine en taux annualisés. En outre, des experts des institutions financières utilisent ces taux pour commenter la conjoncture. Des journalistes en sont aussi devenus friands.

 

SC a publié le 28 août dernier ses données sur le PIB pour le deuxième trimestre. Les statistiques mensuelles sur l’emploi et la production indiquaient bien avant cela que la contraction de l’activité économique s’était concentrée en mars et en avril derniers. Elles signalaient aussi une reprise soutenue de l’économie à compter de mai dernier, une fois amorcé le déconfinement. Ces données mensuelles rendaient impossible le scénario de catastrophe économique sur plusieurs trimestres. Quelle était alors la pertinence de présenter des taux annualisés? Des économistes et des journalistes ont tout de même choisi de commenter les résultats de ce trimestre à partir uniquement de taux annualisés.

Le premier décembre dernier, SC a indiqué que le PIB réel a progressé de 8,9 % au troisième trimestre, du jamais vu depuis que cette organisation compile et diffuse des données trimestrielles sur cet indicateur. Il était bien clair à ce moment-là qu’une telle croissance ne pouvait se répéter quatre trimestres consécutifs.  Encore là, bien des analystes et des journalistes ont mis l’accent dans leurs commentaires sur le taux annualisé de 40,5 %, négligeant souvent de signaler le 8,9 %. Le Canada peut-il vraiment obtenir une croissance annuelle de 40,5 % de son activité économique? Cela ne tient pas la route. 

Un compromis serait de présenter d’abord le taux de variation trimestrielle et ensuite sa version annualisée en expliquant brièvement la différence.

 

         PIB réel du Canada, taux de variation trimestrielle, 2020

                       Non annualisé          Annualisé

 

              T1        -1,9 %                         -7,3 %

              T2        -11,3 %                       -38,1 %

              T3         8,9 %                          40,5%

              T4        ND                               ND

 

          T : trimestre; ND : non-disponible

         Source : Statistique Canada

 

En conclusion, les taux annualisés de variation trimestrielle du PIB sont devenus viraux avec le temps chez bien des économistes et des journalistes appelés à commenter la conjoncture, au point où les taux sans annualisation ne sont que rarement communiqués au public par leur entremise. Il y a certes là une influence américaine où le BEA ne publie que des taux trimestriels annualisés pour cet indicateur. De quoi combler Elvis Gratton. Il y a cependant une lueur d’espoir. La Banque du Canada a cessé de publier en juillet et en octobre derniers des taux trimestriels annualisés dans son tableau intitulé « Résumé des projections relatives à l’économie canadienne » de son Rapport sur la politique monétaire, les reléguant à une note à ce tableau.

 

 

 





[1] Le billet intitulé « Libérez-nous des taux annualisés de variation », publié ici le 29 mars 2016, fait le point sur les exagérations qui découlent des analyses basées sur des taux annualisés.

 

[2] À la page 66 de l’édition du 31 octobre dernier de The Economist, il y a aux deuxième et troisième paragraphes de l’article intitulé «The notorious GDP» une critique des taux annualisés de variation trimestrielle du PIB. Malgré cela, ces taux apparaissent encore dans son tableau « Economic & financial indicators » à la fin de son édition hebdomadaire.

 

[3]  Une méthode de calcul des taux annualisés est expliquée dans « Why does BEA publish percent changes in quarterly series at annual rates? ».

 

[4] Pour les États-Unis, les données trimestrielles du BEA, disponibles à compter de 1947, montrent bien que le taux de variation ne se répète pas d’un trimestre à l’autre.

 

[5] Le document mentionné à la note 3 donne brièvement, au premier paragraphe, des exemples de comparaisons possibles.

dimanche 29 novembre 2020

Les perspectives à court terme de l'économie américaine

Même si pandémie est synonyme d'incertitude ces temps-ci, jetons un coup d'oeil aux perspectives de l'évolution à court terme de l'économie des États-Unis. 

L'activité économique en novembre a progressé au rythme le plus rapide depuis mars 2015, selon les résultats préliminaires des enquêtes de IHS Markit auprès des gestionnaires d'approvisionnement des entreprises américaines. La hausse des nouvelles commandes a été marquée, ce qui est de bon augure pour les prochains mois. Quant à la médiane des projections de 37 prévisionnistes consultés par la Réserve fédérale de Philadelphie, elle est à 1 % de croissance du PIB réel au quatrième trimestre (taux non annualisé). Toutefois, l'indice des indicateurs avancés du Conference Board pointe vers une croissance plutôt modérée de l'activité pour ce trimestre, soit environ 0,5 %. 

En outre, la médiane des prévisions compilées par la Réserve de Philadelphie donne une projection de croissance du PIB réel américain de :

4 % en 2021,

3 % en 2022,

2,1 % en 2023.

Ces projections laissent croire que ce ne serait pas avant le deuxième semestre de l'an prochain où le PIB réel américain rejoindrait son niveau de la fin de 2019.

Mise à jour du 6 décembre

Dans ses Perspectives économiques publiées au début de décembre, l'OCDE prévoit que le PIB réel des États-Unis croîtra de 3,2 % en 2021 et de 3,5 % en 2022.

 

lundi 2 novembre 2020

L'économie canadienne en mode rattrapage jusqu'au début de 2022

Une estimation préliminaire de Statistique Canada, publiée le 30 octobre dernier, indique que l'activité économique au Canada a crû  approximativement de 10 % au troisième trimestre de cette année, après deux trimestres consécutifs de contraction concentrée en mars et en avril derniers.

Dans son Rapport sur la politique monétaire, publié le 28 octobre, la Banque du Canada mentionne que la progression de l'économie de juillet à septembre «...a permis de renverser environ les deux tiers du recul observé durant la première moitié de l’année...» (page 16). Elle prévoit toutefois que le PIB  réel ne croîtra que de 0,2 % au cours du quatrième trimestre. La croissance serait plus importante en 2021 et en 2022, soit près de 4 % en moyenne par année. Selon la Banque, «... le PIB ne retournera à son niveau d’avant la pandémie qu’au début de 2022...» (page 21); ce n'est donc qu'à ce moment-là que la phase d'expansion de l'économie s'amorcerait.

mardi 13 octobre 2020

dimanche 20 septembre 2020

L'incertitude

 L'OCDE a publié le 16 septembre son Rapport intermédiaire sur ses Perspectives économiques. Ses économistes y analysent en particulier la conjoncture économique mondiale. Ils estiment que la contraction de l'activité économique ne sera pas aussi forte cette année que ce qui était anticipé en juin dernier. Ils révisent toutefois quelque peu à la baisse leurs projections de croissance pour 2021. Au delà des prévisions, l'incertitude associée à l'évolution  et aux conséquences de la pandémie constitue le sujet mis en évidence dans ce rapport. On y souligne aussi l'importance «...de restaurer la confiance...».
















dimanche 9 août 2020

Juillet, premier mois de croissance de l'économie mondiale...

 ...depuis le début de la récession de la pandémie, selon les résultats des enquêtes menées auprès des gestionnaires d'approvisionnement des entreprises, publiés par IHS Markit. La progression de l'activité économique a toutefois été faible.







mercredi 22 juillet 2020

L'économie canadienne aurait atteint un creux en avril dernier

La Banque du Canada a publié à la mi-juillet son Rapport sur la politique monétaire. Elle y indique, entre autres, que l'économie canadienne «...semble avoir touché un creux en avril...» (page 13). La récession de la pandémie, débutée en février dernier, aurait donc été de courte durée. Aussi, elle se distingue des autres récessions par l'ampleur et la portée de la contraction de l'activité économique.

La Banque a également publié dans son rapport trimestriel ses projections pour l'économe mondiale...













...et celles pour l'économie canadienne. 












vendredi 10 juillet 2020

« Narrative Economics: How Stories Go Viral & Drive Major Economic Events »


Robert J. Shiller examine dans «Narrative Economics»*  comment les perceptions et les croyances populaires se répandent, deviennent contagieuses et en viennent à influencer les choix économiques des citoyens ainsi que, ultimement, les décisions des gens d’affaires quant à l’embauche de travailleurs et à leurs investissements.

Shiller étudie cette dimension de l’économie depuis bien des années. Il estime que ses collègues économistes devraient, eux aussi, y donner de l’importance dans leurs analyses. La compréhension de la contagion des histoires et de leurs conséquences doit, selon lui, s’ajouter à l’examen des phénomènes et des politiques économiques. Il estime que les économistes doivent fouiller ce sujet, le documenter, l’analyser et l’expliquer. Il indique qu’il s’agit là d’un complément utile aux analyses à partir de modèles. Il avance même que les économistes peuvent faire progresser leur science en développant et en incorporant dans leurs travaux «… the art of narrative economics.» (page xv)

Cet économiste nobel donne plusieurs exemples de croyances populaires qui se sont imposées et qui ont influencé la perception de certains sujets en économie ainsi que les comportements des gens. Il s’attarde notamment :

·         aux paniques et, à l’opposé, aux excès de confiance,

·         à la frugalité et à la consommation ostentatoire,

·         à l’étalon-or et au bimétallisme,

·         aux machines, à l’automatisation, à l’intelligence artificielle  et à leurs effets perçus ou anticipés sur l’emploi,

·         aux bulles spéculatives dans les marchés boursier et immobilier,

·         aux boycotts, aux profiteurs et aux entreprises malveillantes,

·         aux syndicats et à leur influence présumée sur les salaires et les prix, et

·         au Bitcoin.

Il explique comment les opinions se développent, ainsi que leurs récurrences et leurs mutations. Il utilise des outils de recherche par mots-clés, comme Proquest News and Newspaper et Google Ngrams. Les modèles mathématiques mis au point par les épidémiologistes lui servent pour mesurer le degré de propagation des idées reçues. Il en génère de nombreux graphiques illustrant particulièrement bien ses propos.

Ses analyses abondent en référence aux phases d’expansion et de récession du cycle économique. Il signale comment les convictions qui se propagent en viennent à accentuer l’ampleur et la durée de ces phases, tout comme l’adoption de comportements frugaux ou les excès de confiance.

La dernière partie de son livre est consacrée à un programme de travail pour rendre encore plus efficace et pertinente l’analyse des idées reçues et leurs conséquences sur le plan économique. Des moteurs de recherche toujours plus perfectionnés grâce à l’intelligence artificielle, des sondages ciblés des opinions et des groupes de discussion sur des thèmes précis font partie de ce qu’il propose pour développer le potentiel des «Narratives» en économie.

Par ailleurs, on en vient à se demander pourquoi Shiller consacre des dizaines de pages de son livre à justifier l’à-propos de son approche. L’évidence découlant des démonstrations d’un spécialiste de grande notoriété ne devrait-elle pas suffire? La réponse tient vraisemblablement de la nature du sujet traité et de son originalité, du moins par rapport aux façons de faire traditionnelles des économistes.

En conclusion, Shiller propose dans son livre un cadre d’analyse différent de ce à quoi nous sommes habitués. Il ne rejette rien de ce qui existe. Il ajoute plutôt une dimension à la compréhension des comportements et de l’économie. Cet ouvrage s’avère aussi une source de renseignements de qualité exceptionnelle sur l’économie des quelque cent cinquante dernières années.

*Shiller, Robert J. «Narrative Economics – How Stories Go Viral & Drive Major Economic Events».  Princeton University Press, 2019. 300 pages, en excluant la préface, les notes, les références et l’index.