Ramener en rythme annuel la variation trimestrielle en pourcentage du produit intérieur brut réel (PIB) vient habituellement gonfler artificiellement les faits[1]. En ces temps de pandémie où l’activité économique connaît des fluctuations importantes d’un mois ou d’un trimestre à l’autre, l’annualisation des taux fictionnalise la réalité. La revue The Economist a récemment indiqué que ces taux sont «…astonishing and misleading…».[2]
Les taux annualisés quadruplent
les variations d’un trimestre à l’autre[3]. Ils donnent une idée de ce que serait le pourcentage de variation annuelle
du PIB, si le taux de variation d'un trimestre se répétait à chaque trimestre
de l'année, ce qui est illusoire puisque ce n’est pas le cas en pratique[4].
La communication de ces
taux, sans référence préalable à la variation trimestrielle sans annualisation,
est source de confusion. Quelle personne généralement bien informée sur les
questions économiques peut croire que les économies américaine et canadienne
peuvent croître respectivement à un rythme annuel de 33,1 % et 40,5 % sur la
base des résultats du troisième trimestre de cette année? Sans explication
préalable de leur signification, ces pourcentages doivent lui sembler assez
bizarres et même erronés. Lui présenter ces taux en passant sous silence les
taux non annualisés équivaut à de la supercherie.
Le Bureau of Economic Analysis (BEA) des États-Unis est à l’origine de
ce problème. Il ne publie que des taux trimestriels annualisés, bien qu’il soit
possible de calculer les variations sans annualisation à partir des données
disponibles sur son site Internet. Aux dires de cet organisme, ces taux
facilitent des comparaisons[5], bien qu’il se garde d’en
faire dans la rédaction de ses communiqués sur le PIB. Les économistes
américains semblent se conformer à cette pratique du BEA dans leurs travaux sur
la conjoncture en ne publiant que des taux trimestriels annualisés.
L’emploi des taux trimestriels annualisés est répandu au Canada.
Statistique Canada (SC) met toutefois l’accent sur les variations
trimestrielles en pourcentage non annualisées dans ses communiqués. Cet
organisme ajoute les variations annualisées en complément d’information pour
faciliter les comparaisons avec les résultats américains présentés par le BEA. SC
répond probablement aussi à des besoins particuliers en données d’économistes
canadiens qui publient des projections de l’évolution à court terme des économies
canadienne et américaine en taux annualisés. En outre, des experts des
institutions financières utilisent ces taux pour commenter la conjoncture. Des
journalistes en sont aussi devenus friands.
SC a publié le 28 août
dernier ses données sur le PIB pour le deuxième trimestre. Les statistiques
mensuelles sur l’emploi et la production indiquaient bien avant cela que la
contraction de l’activité économique s’était concentrée en mars et en avril
derniers. Elles signalaient aussi une reprise soutenue de l’économie à compter
de mai dernier, une fois amorcé le déconfinement. Ces données mensuelles rendaient
impossible le scénario de catastrophe économique sur plusieurs trimestres. Quelle
était alors la pertinence de présenter des taux annualisés? Des économistes et
des journalistes ont tout de même choisi de commenter les résultats de ce
trimestre à partir uniquement de taux annualisés.
Le premier décembre dernier,
SC a indiqué que le PIB réel a progressé de 8,9 % au troisième trimestre, du
jamais vu depuis que cette organisation compile et diffuse des données
trimestrielles sur cet indicateur. Il était bien clair à ce moment-là qu’une
telle croissance ne pouvait se répéter quatre trimestres consécutifs. Encore là, bien des analystes et des
journalistes ont mis l’accent dans leurs commentaires sur le taux annualisé de
40,5 %, négligeant souvent de signaler le 8,9 %. Le Canada peut-il vraiment
obtenir une croissance annuelle de 40,5 % de son activité économique? Cela ne
tient pas la route.
Un compromis serait de
présenter d’abord le taux de variation trimestrielle et ensuite sa version
annualisée en expliquant brièvement la différence.
PIB réel du Canada, taux de variation
trimestrielle, 2020
Non annualisé Annualisé
T1 -1,9 % -7,3 %
T2 -11,3 % -38,1 %
T3 8,9 % 40,5%
T4 ND ND
T : trimestre; ND :
non-disponible
Source : Statistique
Canada
En conclusion, les taux annualisés de variation trimestrielle du PIB
sont devenus viraux avec le temps chez bien des économistes et des journalistes
appelés à commenter la conjoncture, au point où les taux sans annualisation ne
sont que rarement communiqués au public par leur entremise. Il y a certes là
une influence américaine où le BEA ne publie que des taux trimestriels annualisés
pour cet indicateur. De quoi combler Elvis Gratton. Il
y a cependant une lueur d’espoir. La Banque du Canada a cessé de publier en
juillet et en octobre derniers des taux trimestriels annualisés dans son
tableau intitulé « Résumé des projections relatives à l’économie
canadienne » de son Rapport sur la politique monétaire, les reléguant à une note à ce tableau.
[1] Le billet intitulé «
Libérez-nous des taux
annualisés de variation », publié ici le 29 mars 2016, fait le point sur les
exagérations qui découlent des analyses basées sur des taux annualisés.
[2] À la page 66 de
l’édition du 31 octobre dernier de The
Economist, il y a aux deuxième et troisième paragraphes de l’article
intitulé «The notorious GDP» une critique des taux annualisés de variation
trimestrielle du PIB. Malgré cela, ces taux apparaissent encore dans son
tableau « Economic & financial
indicators » à la fin de son édition hebdomadaire.
[3] Une méthode de calcul des taux annualisés est expliquée dans «
Why does BEA publish percent changes in quarterly series at annual rates? ».
[4] Pour les États-Unis,
les données
trimestrielles du BEA, disponibles à compter de 1947, montrent bien que
le taux de variation ne se répète pas d’un trimestre à l’autre.
[5] Le document
mentionné à la note 3 donne brièvement, au premier paragraphe, des exemples de
comparaisons possibles.