Des révisions aux
statistiques sur les comptes économiques ont amené le Conseil sur les cycles économiques de l’Institut C.D. Howe à revoir
des déterminations de récession au Canada. En outre, les plus récentes données
économiques, particulièrement celles sur le PIB, ont suscité des interrogations
quant à la possibilité d’une nouvelle récession au pays. Le but, ici, est de
faire le point sur les conséquences des changements aux statistiques et sur ce
que l’horizon laisse entrevoir.
Pour faciliter la
compréhension des paragraphes qui suivent, rappelons que le Conseil définit
ainsi une récession : «a pronounced,
persistent, and pervasive decline in aggregate economic activity». Il
utilise principalement deux variables, soit le PIB réel et l’emploi, et trois
critères, soit la durée, l’ampleur et la portée d’un ralentissement, dans ses
analyses pour établir le début et la fin d’une période de récession dans un
cycle économique. Le Conseil rend habituellement ses décisions en recherchant
le consensus de ses membres. En cas de divergences d’opinion, c’est la majorité
simple qui prévaut.
Statistique Canada a publié,
en août 2017, des révisions au produit intérieur brut (PIB) par trimestre pour
les années 1961 à 1980. Ces révisions ont affecté deux décisions antérieures du
Conseil[1].
La
durée d’une récession passe de un à deux trimestres
Un trimestre a été ajouté à
la récession du milieu des années 1970. Auparavant, le Conseil avait jugé qu’elle
s’était limitée au premier trimestre de 1975. Les données révisées indiquent
que, contrairement à ce que laissaient croire les estimations antérieures, le
PIB réel s’est contracté au quatrième trimestre de 1974. Plus de la moitié des
industries étaient d’ailleurs en baisse ce trimestre-là. Même si l’emploi avait
continué de progresser à la fin de 1974, cela n’a pas été suffisant dans
l’optique du Conseil pour éviter une modification à l’évaluation de ce
trimestre. Comme quoi, même plus de quarante ans plus tard, des révisions aux
données peuvent venir changer la perspective sur un cycle économique.
Une
récession en moins
Les révisions aux données
ont aussi eu pour conséquence d’annuler la décision de récession pour le
premier semestre de 1980. Le PIB avait
pratiquement stagné au premier trimestre et diminué légèrement (-0,2 %) au
deuxième, selon les données antérieures. Les nouvelles données indiquent
maintenant une croissance de 0,3 % de la production au premier et une diminution
de 0,1 % au deuxième. Quant à l’emploi,
il a progressé au cours de ces deux trimestres. Par conséquent, le Conseil a
jugé qu’il n’était plus pertinent de retenir ce semestre dans sa chronologie
des récessions. Déjà, on pouvait s’interroger sur sa détermination initiale
pour cette période tenant compte de sa définition de récession, de la faible
baisse de la production, conjuguée à une hausse de l’emploi, et, plus
récemment, de sa caractérisation du ralentissement au premier semestre de 2015,
sujet sur lequel nous revenons ci-dessous.
La révision des données est,
comme par magie, venue corriger la situation.
Le
ralentissement de 2015 réexaminé
Statistique Canada a aussi
publié, en novembre 2018, des révisions aux données trimestrielles et
mensuelles sur le PIB pour les années récentes.
La contraction du PIB a été nettement plus prononcée au premier semestre
de 2015 que ce qui avait été estimé auparavant. En fait, elle a presque doublé
passant de 0,4 % à 0,7 %. Toutefois, puisque
l’emploi a continué de progresser et que la contraction de la production ne s’est
pas étendue à la majorité des industries, dans un vote particulièrement serré,
le Conseil a jugé que le ralentissement économique au premier semestre de 2015
ne constituait pas une récession. Les principaux arguments de la majorité et
ceux de la minorité des participants au vote sont résumés dans le communiqué du
21 décembre 2018 du Conseil[2]. Ajoutons que la contraction de la production
était concentrée dans les provinces productrices de pétrole, en particulier
l’Alberta dont le PIB réel a diminué de 3,7 % en 2015. Aussi, le PIB réel du
Québec et de l’Ontario, les deux principales économies du Canada, ne s’est pas
contracté au premier semestre de cette année-là.
Le
Canada se dirige-t-il vers une récession à court terme?
Au quatrième trimestre de
2018, le PIB réel du Canada n’a progressé que de 0,1 %, selon les comptes
économiques publiés au début de mars par Statistique Canada. Sur une base
mensuelle, le PIB réel par industrie a diminué quelque peu en novembre et en
décembre derniers, après le sommet atteint en octobre. Quant au nombre
d’employés, il a diminué de 0,1 % en décembre par rapport à novembre dernier,
selon l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures travaillées (EERH).
Par contre, l’emploi total a poursuivi sa progression en février dernier, d’après
les résultats de l’Enquête sur la population active (EPA). Il reste à savoir si
l’EERH et l’EPA enverront des signaux concordants sur l’évolution de l’emploi
au cours des prochains mois. Sur la base des données disponibles, il est nettement
prématuré de parler de ralentissement suffisamment prononcé pour anticiper à
court terme la présence d’une récession.
Quant à l’indice mensuel des
indicateurs avancés de l’OCDE pour l’économie canadienne[3],
publié le 11 mars dernier, il laisse présager que l’infléchissement de la
croissance économique se poursuivra au cours des prochains mois.
*La ligne droite représente
la tendance historique à long terme de l’économie canadienne.
Source : OCDE
L’Indicateur précurseur de
l’évolution de l’économie canadienne de l’Institut Macdonald-Laurier, publié le
5 mars dernier, pointe lui aussi vers un ralentissement. Il pourrait être plus
long et plus prononcé que celui du premier semestre de 2015, selon Philip Cross,
chercheur associé à cet institut[4].
Conclusion
Il n’a pas été question ici
des épisodes où il est clair que l’économie canadienne était en récession,
comme en 1981-1982, de 1990 à 1992 et en 2008-2009. L’accent a été mis sur des
cas limites où il y a certes eu ralentissement, mais où il était délicat
d’avancer qu’il y avait bel et bien récession. Les variations relativement
faibles de la production et de l’emploi, des fois dans des directions opposées,
sont venues compliquer l’analyse du Conseil. Se sont ajoutées les révisions aux
données qui ont pu influencer l’interprétation de l’évolution à court terme de
l’économie. Le vote serré sur la caractérisation du ralentissement au premier
semestre de 2015 illustre bien la difficulté d’en venir à une décision dans ces
circonstances. Aussi, s’il est parfois ardu d’identifier ex post
la présence d’une récession, il est hasardeux de les prévoir même en disposant
d’indicateurs précurseurs des points de retournement du cycle économique. S’il
y a un enseignement à retenir, c’est qu’il vaut mieux éviter d’être catégorique
lorsque l’on analyse l’économie à partir de données sujettes à révision et à
interprétation.