mardi 21 avril 2020

Nommer les récessions en tenant compte de leurs caractéristiques



Dans son ouvrage «Narrative Economics»[1], Robert J. Shiller indique que, en 1978, l’économiste Otto Eckstein a publié un livre sur la récession de 1973-1975 aux États-Unis, dont le titre est «The Great Recession», vraisemblablement pour la rapprocher, par analogie, de la Grande dépression des années 1930. La même expression a été utilisée, au début des années 1980, pour désigner la période regroupant la courte récession de 1980 et celle, majeure, de 1981-1982. Elle est devenue «virale», selon Shiller, pour référer à la récession de 2007-2009.

Au Canada, des analystes ont importé des États-Unis l’expression « La Grande récession» pour désigner la récession de 2008-2009. Toutefois, lorsque l’on examine la durée, l’ampleur et la portée des contractions de l’activité de 1981-1982, de 1990-1992 et de 2008-2009, elles sont globalement équivalentes. D’ailleurs, un document émanant du Conseil sur les cycles économiques de l’Institut C.D. Howe[2] indique que, sur une échelle de un à cinq, ces trois récessions obtiennent chacune une cote  quatre.

Il semble y avoir un manque d’imagination pour nommer les contractions importantes de l’activité économique. Chose certaine, l’expression « La Grande récession» est usée et sans  signification concrète pour distinguer une récession d’une autre.

Gita Gopinath, directrice du département des études du Fonds monétaire international, propose implicitement d’utiliser «Le Grand confinement…» pour identifier la récession mondiale qui s’amorce ces temps-ci, en titre de son billet publié en marge de la présentation des Perspectives de l’économie mondiale de cette institution, le 14 avril dernier[3]. Le mot confinement a un sens concret; il colle bien à la réalité ambiante.

Quant au mot «grande», il a un usage bien établi pour qualifier la dépression des années 1930. Est-ce vraiment opportun de le répéter chaque fois qu’il y a une diminution importante de l’activité économique? Par analogie, «La Grande guerre», c’est la première guerre mondiale; personne n’utilise cette expression pour désigner la deuxième. Aussi, n’y a-t-il pas quelque chose d’inconvenant à trouver de façon systématique de la grandeur à un phénomène synonyme de chômage, de faillite, d’appauvrissement, etc.?

Pourquoi ne pas tout simplement donner un nom spécifique à chaque récession en tenant compte d’au moins l’une de  ses principales caractéristiques?

Pour la diminution actuelle de l’activité économique mondiale, ce pourrait être la récession de la pandémie. Ce n’est rien de bien original[4], mais, ce nom aurait l’avantage évident de ne pas la confondre avec d’autres. Autre exemple, pour celle de 2007-2009 aux États-Unis et de 2008-2009 au Canada, pourquoi ne pas la nommer la récession des subprimes? Pour la récession de 1981-1982 dans ces deux pays, ce serait la récession des taux records d’intérêt en raison de la politique monétaire très restrictive adoptée à l’époque par les banques centrales des deux pays pour juguler l’inflation. La récession de 1973-1975 aux États-Unis pourrait être celle de l’embargo pétrolier, ce qui serait assez évocateur.

L’intention ici n’est pas d’imposer une désignation; l’usage s’en charge normalement. L’idée est d’amener les analystes à réfléchir à la possibilité de se défaire du carcan langagier qu’ils ont imposé avec le temps.

En conclusion, nommer adéquatement les récessions a de l’importance, ne serait-ce que pour éveiller automatiquement chez les gens, lorsque c’est opportun, un souvenir assez précis de leur propre expérience de ces événements économiques. Il s’agit d’ailleurs d’un message que l’on peut facilement déduire de la lecture de plusieurs passages du livre de Shiller et ce, sans le limiter à l’analyse des périodes de ralentissement économique. 

 



[1] Shiller, Robert J. «Narrative Economics – How stories go viral & drive major economic events». Princeton University Press, 2019. Page 112.

[2] Cross, Philip et Philippe Bergevin. «Turning Points: Business Cycles in Canada since 1926». Institut C.D. Howe, 2012. Page 10. Notez que depuis la publication de ce document, la révision par Statistique Canada de données sur le PIB réel a entraîné l’élimination du premier semestre de 1980 de la chronologie des récessions au Canada et le passage de un à deux trimestres de celle de 1974-1975.

[3] Gopinath, Gita. «Le Grand confinement : pire récession économique depuis la Grande dépression». Fonds monétaire international, avril 2020.

[4] Des suggestions originales ont été faites, comme : la virussion, la récession virale et la récession planifiée ou volontaire. 


jeudi 16 avril 2020

Perspectives à court terme de l'économie canadienne, selon la Banque du Canada

Le paragraphe qui suit résume bien l'analyse de la Banque du Canada sur la conjoncture économique au pays ces temps-ci :

«Malgré toutes les mesures mises en place par les pouvoirs publics, la COVID-19 aura, à court terme, des effets négatifs importants sur l’offre et la demande globales, qui sont amplifiés par le choc des prix du pétrole. La Banque s’est servie d’une analyse de scénarios pour estimer que le niveau du PIB réel au premier et au deuxième trimestre de 2020 sera, respectivement, d’environ 1 à 3 % et 15 à 30 % inférieur à celui du quatrième trimestre de 2019. En dépit de la grande incertitude qui les entoure, ces estimations donnent à penser que le ralentissement à court terme sera le plus prononcé jamais enregistré.»

Ce paragraphe apparaît à la page 13 du Rapport sur la politique monétaire publié le 15 avril.