Voilà une question demeurée bien embêtante, pendant de
nombreux mois, pour les experts de l’analyse des cycles économiques. Les deux
principaux indicateurs économiques utilisés pour déterminer l’occurrence d’une
récession au Canada envoyaient, et envoient toujours, des signaux
contradictoires, soit, d’une part, une légère contraction de la production (PIB
réel) et, d’autre part, une légère hausse de l’emploi aux premier et deuxième
trimestres de 2015. Il y avait bien là une période de ralentissement, mais,
pouvait-on lui épingler l’étiquette de récession?
Dans la chronologie des récessions au Canada[1], seule celle du premier semestre de 1980 se compare assez bien, sur le plan des variations de la production et de l’emploi et sur le plan de la durée du ralentissement, à la situation de 2015 décrite ci-dessus. La baisse du PIB mensuel à compter de février 1980 et la contraction de la production dans plus de la moitié des industries (indice de diffusion), notamment au deuxième trimestre, ont, semble-t-il, été les éléments importants de cette détermination de récession.
Jusqu’à la fin de juillet 2016, aucun
indice de diffusion n'était disponible pour mesurer la portée ou la propagation du ralentissement au premier semestre de 2015,
Statistique Canada ayant cessé, en 2012, de calculer un tel indice. Jeremy
Kronick de l’Institut C.D. Howe est alors venu corriger la situation[2]. Les méthodologies qu’il a
utilisées l’ont amené à conclure que l’impact de la baisse du prix du pétrole à
l’origine de la contraction du PIB réel «…was
not diffuse enough to warrant a recessionary call.» En
fait, plus de la moitié des industries canadiennes étaient encore en expansion au
premier semestre.
Comparaison
des premiers semestres de 1980 et de 2015
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T : trimestre
Source :
Institut C.D. Howe
*Un indice au-dessus de 50 signifie
que plus de la moitié des industries sont en expansion au cours du trimestre.
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Muni de ce nouvel indice de diffusion ainsi que des
données révisées sur le PIB, le Conseil
sur les cycles économiques de l’Institut C.D. Howe a déterminé, en décembre
dernier, «…that it is not
possible to call the first two quarters of 2015 a recession.»[3] Bons joueurs, les membres
du Conseil ont toutefois ouvert la porte à un réexamen de leur décision
advenant des changements importants aux données sur le PIB par industrie pour
ce semestre.
Le degré de propagation de la contraction de la
production semble être le résultat qui amène le Conseil à juger qu’au premier
semestre de 1980 l’économie canadienne était en récession, et qu’elle ne l’était
pas au premier semestre de 2015. En revanche, la baisse de la production en 1980 ayant été de plus faible ampleur encore
qu’en 2015, la détermination de récession pour 1980 a de quoi laisser songeur.
Maintenant, posons autrement la question initiale :
y a-t-il eu des récessions au Canada en 2015?
Selon les données publiées le 9 novembre dernier par
Statistique Canada, les PIB réels de Terre-Neuve et Labrador (-2,0 %), de la
Saskatchewan (-1,3 %) et de l’Alberta (-3,6 %) ont enregistré des baisses importantes
cette année-là. Entre décembre 2014 et décembre 2015, le nombre de salariés a
stagné à Terre-Neuve, et il a diminué en Saskatchewan (-0,7 %) et en Alberta
(-3,1 %), selon l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de
travail. Sans être en mesure d’examiner
ces données en utilisant la grille d’analyse du Conseil, il est vraisemblable
que ces trois provinces aient été en récession en 2015. Ces données viennent
aussi appuyer l’assertion que le ralentissement au Canada au premier semestre
de 2015 était fortement concentré dans ces provinces.
Pour terminer, voici des interrogations suscitées par la préparation de cet article et de mes articles antérieurs sur ce sujet :
· Ne vaudrait-il pas mieux utiliser une mesure
du PIB qui exclurait le secteur public (administrations publiques, services
d’enseignement, soins de santé et assistance sociale), secteur dont les
variations de la production peuvent difficilement s’expliquer par le cycle économique, pour
obtenir un indicateur de l'activité qui reflète mieux l’évolution de la conjoncture?
Le calcul de l’indice de diffusion de la contraction de l’activité économique
ne devrait-il pas lui aussi exclure le secteur public, secteur qui représente
près de 20 % du PIB par industrie?
· Des variations minimes de la production et de
l’emploi sur un ou deux trimestres ne devraient-elles pas être associées à une
détermination de stagnation plutôt que de chercher à prouver qu’il y a ou pas
récession? Par conséquent, ne faudrait-il pas réviser les seuils des critères de
durée, d’ampleur et de portée à partir desquels le Conseil juge qu’il est
approprié d’examiner si un ralentissement devient une récession?[4]
· N’y aurait-il pas lieu d’ajouter, à l’indice
de diffusion sur le plan des industries, un indice de diffusion sur le plan des
régions du Canada?
· Lorsque l’emploi ne diminue pas et que la
baisse de la production ne représente que quelques millièmes du PIB réel sur au
plus deux trimestres, y a-t-il
lieu de semer l’émoi en prétendant qu’il y a là récession, surtout lorsque l’on
sait que le PIB est une estimation, bien que complexe, et non pas un chiffre
précis?
[1]
Cross, Philip et Philippe Bergevin. «Turning Points: Business Cycles
in Canada since 1926», Institut C.D. Howe, commentaire no. 366. Octobre
2012.
https://www.cdhowe.org/public-policy-research/turning-points-business-cycles-canada-1926
https://www.cdhowe.org/public-policy-research/turning-points-business-cycles-canada-1926
[2] Kronick, Jeremy. «Taking the Economic Pulse: An Improved
Economic Tool to Help Track Economic Cycles in Canada», Institut C.D. Howe,
E-Brief, 26 juillet 2016.
https://cdhowe.org/sites/default/files/attachments/research_papers/mixed/e-brief_243_0.pdf
[3] Business Cycle Council, «Evidence Mounts that 2015 Downturn Was No
Recession», Institut C.D. Howe, communiqué, 21 décembre 2016.
https://cdhowe.org/sites/default/files/attachments/communiques/mixed/Communique_DEC212016_BCC.pdf
[4]
Ces seuils sont explicités dans le document mentionné à la note 1. La durée
minimale de la baisse de l’activité économique est un trimestre. Sur le plan de
l’ampleur, une baisse d’au moins 0,1 % est nécessaire, mais pas suffisante.
Quant à la portée, les indices de diffusion élaborés par Kronic (référence,
note 2) constituent une amélioration par rapport aux calculs antérieurs de
Statistique Canada. Si ses méthodes étaient appliquées au calcul de la
diffusion de la contraction de 1980, la détermination de récession serait
peut-être révisée.