Déjà quatre ans que la reprise économique aux États-Unis est
en cours, et il n’y a pas à l’horizon de signal précurseur important de
contraction à venir de l’activité économique et, par conséquent, encore moins
de récession. L’emploi a connu de bonnes augmentations au cours des derniers
mois. Les consommateurs reprennent progressivement confiance quant aux
perspectives. L’inflation n’est plus que l’ombre d’elle-même. La stratégie
double d’assouplissement monétaire et de bas taux d’intérêt est maintenue, à
tout le moins tant que le taux de chômage n’avoisine pas les 6,5 % et que le
rythme d’augmentation des prix demeure contenu. Les marchés boursiers
continuent leur progression tant qu’ils ne flairent pas un changement de stratégie
de la Fed. Les indicateurs avancés de l’OCDE et du Conference Board laissent présager que la croissance se poursuivra
à un bon rythme. Les prévisions de croissance du PIB de divers organismes
pointent vers une accélération de la croissance après un premier semestre de
2013 de croissance modeste, plusieurs organismes estimant même une croissance
de plus ou moins 3 % en 2014, soit, si elle s’avère, une progression légèrement
supérieure à celle de 2012 (révisée à 2,8 % selon les données publiées le 31
juillet).
Toutefois, les rabat-joie font valoir que depuis la fin
de la Grande récession, l’emploi et le PIB réel par habitant sont encore
inférieurs aux sommets atteints à la fin
de 2007 ou au début de 2008. Le PIB réel au deuxième trimestre de cette année ne
dépasse que de peu (4,3 %) le sommet
atteint au début de la dernière
récession, soit au quatrième trimestre de 2007. En fait, une phase de croissance
où la lente reprise tarde à faire place à l’expansion soutenue de l’activité.
En outre, malgré la stratégie monétaire très expansionniste de la Fed, les taux
d’intérêt sur les obligations et les hypothèques sont à la hausse ces temps-ci,
ce qui pourrait affecter le rythme de croissance, sans oublier la hausse
estivale des prix de l’essence qui a souvent tendance à peser sur la confiance
des consommateurs. Sur le plan budgétaire, les effets à la baisse sur l'activité de ce qu'il convenu d'appeler le «séquestre» se font encore sentir.
Au-delà de ces dimensions conjoncturelles, y a-t-il lieu
de diminuer nos attentes quant à la croissance économique aux États-Unis?
Si les prévisions du Congressional
Budget Office (CBO) se concrétisent, la croissance pourrait s’accélérer de
2014 à 2017, et, ainsi, combler l’écart qui s’est creusé entre le PIB réel et
le PIB potentiel, notamment au cours de la Grande récession. Ensuite, si
l’économie croît au même rythme que son potentiel estimé, elle ne croîtrait que
de 2,25 % par année, soit un taux nettement inférieur à la moyenne de 3,25 %
obtenue depuis les années 1950.[1]
Des économistes de The
Federal Reserve Bank of Chicago (Chicago Fed), en utilisant une méthode
différente de celle du CBO, arrivent à des résultats similaires : la
tendance de la croissance à long terme de l’économie serait passée de 4,5 % au
premier trimestre de 1967 à entre 2,25 % et 2,5 % à la fin de 2007, et à entre
1,6 % et 2,1 % au quatrième trimestre de 2012.[2]
L’offre de travailleurs est une variable importante de
l’évolution de la production potentielle. Or, en raison principalement de
changements à la participation à la population active (travailleurs et
chômeurs) et au ralentissement de la croissance de la population, des
économistes de la Chicago Fed
estiment actuellement à 80 000 par mois la tendance de la croissance de
l’emploi. Ainsi, sur la base de ce résultat, pour que le taux de chômage
diminue, il faudrait, selon eux, que la croissance mensuelle de l’emploi soit
de plus de 80 000, ce qui est inférieur à ce qui est habituellement reconnu
(100 000 à 150 000) et inférieur aux 150 000 à 200 000 des
années 1980 et 1990. Ils avancent aussi que cette tendance pourrait passer à
35 000 emplois par mois entre 2016 et 2020. Ils reconnaissent toutefois
qu’il est nécessaire de créer beaucoup plus d’emplois ces années-ci pour
combler l’écart entre la tendance de l’emploi et la création réelle d’emplois
des dernières années; ils estiment qu’en 2012, par exemple, l’emploi était 4 % inférieur
à ce que la tendance de long terme suggère.[3]
Ajoutons à cela que le titre de la mise à jour du 9
juillet dernier des Perspectives de l’économie mondiale du FMI est «Crise de
croissance» (en anglais «Growing Pains»).
Cet organisme y signale, entre autres, en introduction, que «…de nouveaux
risques sont apparus, notamment la possibilité d’un ralentissement plus
prolongé de la croissance dans les pays émergents, surtout étant donné les
risques d’un affaiblissement de la croissance potentielle,…».[4]
En conclusion, les perspectives de croissance aux
États-Unis sont inférieures aux résultats obtenus au cours de la deuxième moitié
du vingtième siècle et même moindres que ceux de la décennie précédente où
l’inflexion de la tendance de la croissance s’était déjà fait sentir.
Toutefois, les estimations mentionnées ci-dessus ont été obtenues à partir
d’outils d’analyse perfectibles. Elles présentent tout de même des projections
qui doivent nous amener à modérer nos attentes quant à la croissance économique
américaine d’ici la fin de la décennie. Aussi, cela ne sera pas sans peser sur
les perspectives de croissance du Canada où les exportations vers les
États-Unis jouent un rôle important.
[1] CBO Budget Blog «Economic
Growth is Likely to Be Slow in 2013 and Pick Up in Later Years», 7 février 2013
: http://www.cbo.gov/publication/43914
[2] Chicago
Fed Letter «Estimating the trend rate of economic growth using the CFNAI», juin
2013 : http://www.chicagofed.org/digital_assets/publications/chicago_fed_letter/2013/cfljune2013_311.pdf
[3] Chicago Fed Letter «Estimating the
trend in employment growth», juillet 2013 : http://www.chicagofed.org/digital_assets/publications/chicago_fed_letter/2013/cfljuly2013_312.pdf
[4] Site Internet du FMI : http://www.imf.org/external/french/pubs/ft/weo/2013/update/02/pdf/0713f.pdf